Les femmes face au COVID-19 : exprimez-vous!
Simone de Beauvoir
"N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant."
Le COVID-19 serait-il la crise en passe de donner raison à Simone de Beauvoir sur l’impératif de rester vigilantes ? Plus insidieuse que le recul des droits structurellement liés à la condition féminine (droits de vote, IVG, ou autres acquis statutaires) la crise liée du coronavirus laisse s’exprimer des biais culturels et sociologiques que l’on croyait si ce n’est disparus du moins atténués. Dans le “monde d’après”, la fausse minorité devra a minima se ré-approprier les terrains conquis, mais surtout prendre la parole.
La partie visible toujours en lutte : le réflexe “tout masculin” des médias ?
Dimanche dernier, la Une du Parisien montrait 4 hommes en Une pour raconter justement le “monde d’après”. L’ire de nombreuses femmes et d’hommes soulevée par cette Une et les excuses presque immédiates de la rédaction du journal montrent que la vigilance est toujours de mise et que son expression reste entendue. Certains affirment que la crise actuelle serait la source de ce dérapage. Ne nous trompons pas. Cela n’a rien de nouveau. Bien avant, des situations similaires étaient déjà légions : on se rappelle ainsi la polémique suscitée par la photo de huit hommes lors de la signature d’un accord entre HEC et l’Institut polytechnique de Paris. Les efforts multiples et astucieux déployés (plateforme d’expertes pour aider les médias à trouver des intervenantes pour leurs débats) pour trouver des expertes calent encore un peu, mais la crise liée au coronavirus n’y est pour rien ; en revanche, elle a un impact dans le quotidien des foyers : la fragilité des acquis se brise sur les vieux réflexes.
La partie invisible véritablement en recul : Retour au XIXème siècle dans les foyers !
A l’instar des première et deuxième guerre mondiales, les femmes assument un nouveau rôle dans cette “guerre”. En 14-18 et en 39-45, elles sont entrées dans les usines vides pour soutenir l’effort de guerre… En 2020, avec le confinement, elles retournent dans leur cuisine, auprès de leurs enfants. Car, n’en déplaise à quelques hommes engagés, le transfert de charges de l’école vers la famille confinée pèse en premier lieu sur les femmes, qu’elles travaillent ou télé-travaillent. Faire l’école, les déjeuners si couramment sous-traités aux cantines (menus multipliés par 2 au cours des 3 dernières semaines) organiser (et inventer!) les activités périscolaires ont fait descendre la charge mentale dans le quotidien concret des mères actives. Il faut structurer, piloter et exécuter. Pas de données pour le prouver pour le moment, mais des indices avancés pour étayer cette mutation : les articles et conseils sur le thème “Comment occuper les enfants?” sont presqu’exclusivement publiés dans la presse féminine. Et quand on sait que hors crise dans les pays de l'OCDE, les femmes consacrent en moyenne un peu plus de quatre heures par jour au travail domestique non rémunéré, soit environ deux heures de plus par jour que les hommes (OECD Gender Data Portal), en période de confinement, les chiffres mis à jour de la crise donneront le vertige.
Quelles solutions, alors? Rester vigilantes, certes mais cesser d’être une majorité silencieuse
Aucun doute, les femmes sont nombreuses en première ligne face à cette crise, elles représentent la moitié des médecins, et plus de ¾ des personnels soignants. Elles agissent, elles sont au rendez-vous. Celles qui assurent à l’arrière dans l’intendance aussi sont très actives. Pourtant, dans tous les cas, elles subissent, les soignantes souffrent de l’impréparation des pouvoirs publics, les confinées cuisinent, les épicières et boulangères se cachent derrière des masques… Elles sont vaillantes mais silencieuses. C’est ce silence qui enferme. L’expression libère. Oser prendre la parole pour que les tâches se partagent, oser prendre la parole pour exprimer une expertise, une idée ou une vision. Oser prendre la parole pour que les femmes battues ne deviennent pas les premières victimes du confinement. Le monde de demain comptera toujours autant de femmes que d’hommes. Elles ont le même droit à s’exprimer… à condition de s’en saisir. C’est même le devoir de celles qui dirigent de s’en saisir.